L’émergence de relations approfondies entre les écuries de pointe et celles dites
" de milieu de peloton " inquiète Renault qui s’insurge d’une course à l’armement infernale. Mercedes, Ferrari et Red Bull s’appuient en effet toutes sur des structures clientes, avec lesquelles elles collaborent à travers la fourniture de moteurs, boîtes de vitesses ou encore suspensions. En plus d’aider celles-ci à surperformer, elles bénéficient d’un retour d’expérience décuplé, permettant d’accroître leur capacité de développement. Un atout dont Renault ne dispose pas aujourd’hui.
Le débat a débuté lorsque Haas a fait son entrée en Formule 1, lors de la saison 2016. Le modèle de l’écurie américaine est simple : elle achète toutes les pièces que le règlement autorise à la Scuderia Ferrari. Visuellement, cela crée quelques émotions, avec une monoplace étrangement ressemblante à celle de la structure italienne. Côté performance, la Haas a toujours répondu présente, et était l’an passé une redoutable adversaire pour prendre le leadership du milieu de peloton.
" Haas a créé un précédent qu’il est difficile d’effacer ", explique Cyril Abiteboul, le Directeur de Renault Sport Racing, à Auto Motor Und Sport.
" Pour moi, il y a un avant et un après Haas. Cela a changé la Formule 1, peut-être pour toujours. Dix équipes sont devenues quatre ou cinq. C’est quelque chose que nous n’avions pas réfléchi et bientôt, il sera impossible de gagner sans équipe B. "
" Avant de pouvoir battre Ferrari, je dois d’abord battre Haas. Et le plus dur c’est de gagner plus d’argent ou de sponsors ", ajoute le français.

Ce modèle n’est pourtant pas si nouveau. Red Bull avec la Scuderia Toro Rosso en est le parfait exemple. Depuis 2006, l’écurie autrichienne s’appuie sur sa junior team, pas seulement pour former de jeunes pilotes. En 2007 et 2008, les monoplaces des deux équipes étaient très ressemblantes, et le taureau rouge ne se cache pas de mutualiser les accords moteurs pour favoriser l’échange de composants. Ce fut le cas avec Renault en 2014, 2015 et 2017, puis aujourd’hui avec Honda. D’ailleurs, Toro Rosso a clairement servi de laboratoire roulant l’an passé pour préparer l’arrivée du constructeur japonais au sein de l’équipe numéro une. Ces synergies, en plus d’aider à amortir les coûts, offrent un potentiel de développement exceptionnel.
" Si vous avez moins d’argent et de ressources disponibles, une équipe peut se concentrer sur l’aérodynamique et l’autre sur le châssis. Cela rendra ces alliances fantastiques. Si vous êtes isolé comme nous, il n’y a aucune chance ", précise Cyril Abiteboul.
La situation actuelle de Renault ne permet en effet pas de dupliquer ce modèle. Si la fourniture de moteurs fait partie de la tradition de la marque, le Losange s’est toujours évertué à proposer des prestations identiques d’une écurie à une autre, sans que l’une ne prenne le pouvoir sur l’autre. De par cette philosophie, Renault n’a jamais hésité à s’associer à des structures puissantes et rivales. Ce fut le cas de Red Bull, c’est aujourd’hui McLaren.
Vous imaginez bien qu’une équipe comme celle de Woking n’a pas vocation à devenir l’écurie B d’une autre. Ce serait une insulte pour elle, pour son Histoire et ses ambitions. Renault se retrouve donc dans une situation où elle ne peut rivaliser à armes égales avec les écuries de pointe.
" Nous voyons cette situation comme sérieuse et ce n’est pas qu’un problème pour Renault, mais pour tous ceux qui ne peuvent pas suivre ce modèle. Je ne sais pas comment arrêter cette course à l’armement et les équipes satellite en font partie. La FIA doit l’admettre. Nous ne voulons pas faire partie d’une Formule 1 comme celle-ci ", insiste le français.

On peut bien sûr imaginer un renforcement des liens avec McLaren. Après tout, les deux équipes ont peut-être tout à y gagner en se confiant certaines responsabilités, sans pour autant créer une relation de subordination. C’est un axe de travail étudié.
" Nous sommes des équipes égales. Qui sera le roi et qui sera l’esclave ? Peut-être que nous devrons parler à McLaren à un moment, mais cette alliance ne sera jamais au niveau de Ferrari et Haas, Mercedes et Racing Point ou Red Bull et Toro Rosso ", précise à ce sujet Cyril Abiteboul.
Historiquement liée au Losange, Williams pourrait être une solution à étudier. L’écurie de Grove traverse la pire crise de son existence et aurait certainement besoin d’un coup de pouce pour se sortir de la dramatique situation dans laquelle elle se trouve. Un retour de Renault, déjà effectué en 2012, fait chaque année l’objet de rumeurs mais on le sait, Williams tient à son indépendance et ne souhaite pas, à l’image de McLaren, devenir dépendante d’une autre équipe. Sa survie tient cependant peut-être à cela.
Autre possibilité pour Renault, l’arrivée souhaitée par Jean Todt, le Président de la FIA, de deux nouvelles équipes. Le Losange pourrait monter un projet avec l’une d’entre elles, à l’image de ce qu’a pu faire Ferrari avec Haas. Il est toutefois encore trop tôt pour évoquer ce scénario, dont la mise en place ne se fera de toute façon pas avant plusieurs années.

Reste au Losange le besoin d’alerter sur le sujet, et de pousser les instances dirigeantes à plus de contrôles pour limiter l’impact de ces relations, qui peuvent se faire au détriment du spectacle, puisque les écuries B auront tout intérêt à ne pas perturber la marche de leurs équipes dominantes, au risque de mettre en péril leur collaboration. L’exemple des Toro Rosso laissant facilement passer sur la piste les Red Bull en est la preuve.
Pour la petite histoire, Renault avait été impliqué bien malgré lui dans un schéma de ce type. C’était en 1995 avec Benetton-Renault et Ligier-Mugen Honda. Pour récupérer le bloc français, la structure italienne avait racheté l’écurie de Nevers et donc le contrat, en échange de quoi elle fournissait quelques services. La JS41 ainsi présentée laissait franchement penser à une copie de la B195…