Les essais privés laissaient espérer une dernière année positive pour le moteur Renault. Hélas, après onze courses, le bilan d’Alpine est des plus décevants, et bien loin des attentes. L’écurie française compte autant d’unités que de Grand-Prix disputés. Pis, elle est bonne dernière au championnat, à quinze longueurs du neuvième, et quarante-quatre du cinquième, son objectif initial. Alors que la mi-saison approche, Alpine doit réagir et vite pour éviter d’être la lanterne rouge 2025.

" Alpine a trouvé un moyen de me b... après toutes ces années ". Cette déclaration d’Oscar Piastri pendant le Grand-Prix d’Autriche après une gêne des A525 ajoute une part de dramaturgie à ce week-end catastrophique. Il démontre un certain manque de respect pour l’écurie française de la part d’un pilote dont une partie de la carrière a été copieusement financée par le Groupe Renault, mais dont la fin a été gâchée par la fameuse histoire du contrat en 2022.

L’équipe usine du Losange a malheureusement perdu depuis bien longtemps une certaine crédibilité. Oscar Piastri, Otmar Szafnauer, la presse et tant d’autres, les critiques sont en effet nombreuses sur Alpine, sa gestion, ses décisions. Les changements de managers, le retour de Flavio Briatore, l’arrêt du moteur Renault, des modifications de pilotes sous une pression énorme, les bâtons pour se faire battre ne manquent pas. Et les résultats sur la piste ne permettent absolument pas de contrer ces remarques acerbes, et de gagner une respectabilité suffisante.

Si la partie Enstone est, à priori, rentable à la lumière des derniers résultats financiers publiés (9.5M EUR de bénéfices sur l’exercice 2023), on peut se demander si le retour marketing est suffisant avec de tels résultats et ces critiques trop nombreuses. Porté par Luca de Meo, le projet est beaucoup trop instable, trop d’impatience et cette crédibilité perdue ne permet certainement pas d’attirer les meilleurs talents, de les conserver, ni même de les laisser s’exprimer sereinement. Il s’en dégage une approximation et une incapacité à comprendre le fonctionnement d’une voiture.

La difficulté d’Alpine aujourd’hui est en effet de ne pas parvenir à cerner le potentiel de l’A525, de lui apporter les bons réglages. Parfois très rapide, la monoplace française se noie très rapidement pour sombrer dans les profondeurs du classement. Certes, le moteur Renault est en retrait et n’aide pas non plus, mais la voiture produite par Enstone n’est pas idéale non plus. Et dans un peloton très compact, toutes ces faiblesses se traduisent en une catastrophe comptable.

Dès lors, modifier les organigrammes n’aident pas à stabiliser les idées, les démarches engagées. Chaque nouveau venu va venir apporter sa vision, son approche, et remettre en cause un travail en cours. Une perte de temps, d’efficacité, sans compter toutes les heures perdues à former, convaincre, justifier des décisions passées. La domination s’obtient par le maintien d’une direction stable, à l’instar de McLaren avec Zak Brown, Red Bull avec Christian Horner et Mercedes avec Toto Wolff.

" Les gens au-dessus de moi n’avaient aucune idée du temps que cela prend ", expliquait à ce propos l’ancien Team Manager d’Alpine, Otmar Szafnauer, à PlanetF1.com. " On peut embaucher de bonnes personnes de l’extérieur du secteur, mais il leur faut ensuite du temps pour apprendre le métier et avoir un impact réel sur la performance. Donc, quand vos patrons ne réalisent pas cela, vous obtenez exactement ce qui m’est arrivé : des attentes irréalistes quant au temps nécessaire pour améliorer fondamentalement une équipe de F1. "

" Les nouveaux patrons qui arrivent peuvent avoir des attentes irréalistes car ils n’ont pas grandi dans ce sport. Quand on le considère comme un sport au lieu d’une organisation de développement technologique, ce qu’il est réellement, on commence à prendre des décisions dignes du football ", poursuit-il.

" Je [n’ai parlé à Luca de Meo] que trois fois ", ajoute l’américano-roumain à The-Race.com. " La dernière fois que je lui ai parlé, c’était à Montréal en 2023 (soit quatre courses avant son éviction, ndlr). Je lui ai expliqué que ça prendrait du temps de mettre en place un changement de paradigme au sein de l’équipe. Je lui ai dit combien de temps ça prendrait, ce à quoi il m’a répondu ‘Je n’ai pas ce temps. Il faut que ça se fasse plus vite.’ "

L’arrivée de Flavio Briatore avait pour objectif d’apporter cette connaissance du monde de la Formule 1 et d’être une figure fédératrice, usant également de son réseau pour renforcer Alpine. Les véritables résultats seront certainement visibles en 2026, même si l’on pouvait percevoir des effets dès la fin d’année 2024. Le début de cette campagne met en doute son influence à court terme, avec davantage de critiques sur sa gestion des pilotes et l’arrêt du moteur Renault que de louanges.

Pour ce dernier point, le flamboyant manager affirme que la décision de Luca de Meo a été prise avant sa venue, mais sa mise en œuvre s’effectue sous son commandement. En revanche, il est directement responsable du remplacement de Jack Doohan au profit de Franco Colapinto, dont le recrutement s’est fait à prix d’or, avec des résultats aujourd’hui décevants.

L’argentin est d’ailleurs sous forte pression. Confirmé pour cinq courses, il a le droit à un sursis avec de légers progrès. Sa présence dans le baquet de l’A525 est sans aucun doute aidée par de généreux sponsors qui paient la facture globale. En outre, il est devenu un ambassadeur de Renault en Argentine, le Losange n’aurait pas intérêt à le voir être remplacé trop tôt. On apprécie d’ailleurs le goût du jeune pilote à l’égard de notre marque.

" C’est un honneur d’être ambassadeur pour Renault esprit Alpine, et j’ai hâte de vivre la campagne en direct en Argentine ", affirme Franco Colapinto. " L’alliance puissante entre Alpine et Renault est incroyable, et moi aussi, j’ai attrapé la ‘fièvre’. Voir ce soutien personnel à travers cette campagne montre à quel point je suis reconnaissant envers les fans de mon pays, qui sont aussi enthousiastes que moi à l’idée de mes débuts avec l’équipe Alpine. J’espère les rendre fiers. "

" Moi, j’aime les marques qui ne partent de rien et qui font la différence à partir de là […], l’effort a toujours été là pour moi : quand j’ai couru en Formule 4, mon père a vendu sa maison pour que je puisse courir, et on n’avait même pas assez d’argent pour que je puisse courir l’année suivante. Des marques proches des gens, du quotidien. Renault, par exemple : beaucoup de gens ont une Renault en Argentine. Mais qui va avoir une Ferrari ? Pourtant, les pilotes de Formule 1 et beaucoup de sportifs vont plutôt vers ce monde-là. Leclerc, par exemple, il a tout ce qui est glamour, ce ne sont pas des choses que j’aurais. Peut-être que ça a à voir avec ses origines ", poursuit l’argentin.

En dépit de ce beau discours certainement plus agréable à lire que celui d’Oscar Piastri, Franco Colapinto doit rapidement convaincre sur la piste. Alpine prépare d’ores et déjà un autre plan, avec d’insistantes rumeurs autour d’une arrivée précipitée de Valtteri Bottas, l’actuel réserviste de Mercedes et très expérimenté. Le finlandais aurait l’accord de son employeur pour être libéré et prendre le volant du bolide français dès que nécessaire. Sergio Perez est une autre piste explorée pour satisfaire d’éventuels partenaires de Franco Colapinto.

L’unique bonne nouvelle de cette triste situation est peut-être le gain de temps en soufflerie pour Alpine. En raison de l’actuelle réglementation, plus vous êtes loin dans la hiérarchie, plus vous bénéficiez d’essais dans ces installations. Cela pourrait aider le A fléché dans la mise au point de la future A526, une fois celle-ci en piste. C’est le regard porté par un Pierre Gasly engagé mais aussi défaitiste pour 2025.

" On devrait être bien plus performants ", estime-t-il à L’Equipe. " Je suis de près l'évolution de la voiture 2026 et pour l'instant on est content de ce qu'on fait. On ne sait pas où en sont les autres mais on a une vague idée de ce qu'on pense être acceptable et pour l'instant on tient le cap. Je suis plutôt confiant sur ce qu'on trouve. Il reste six mois de développement, j'espère que notre situation difficile sportivement et cette dixième place au Championnat nous donnera un avantage en termes d'heures de soufflerie et qu'on pourra utiliser cet avantage du mieux possible pour arriver aux premiers tests 2026 avec une voiture qui devrait être dans une bonne fenêtre. "

Cette ère réglementaire est décidément bien difficile pour Alpine et on ne peut que regretter ce baroud d’honneur dont le bilan n’est absolument pas à la hauteur de l’Histoire de Renault. Peut-on rêver d’une réaction ? On évitera aujourd’hui d’espérer quoique ce soit. La possible arrivée de Steve Nielsen est un message encourageant s’il se matérialise, mais un seul homme ne pourra faire de miracle. Quant à Valtteri Bottas, c’est un gain d’expérience peut-être nécessaire à l’heure où Alpine n’a de toute façon plus rien à perdre…